Interview de Bianca Theeruth, nutritionniste spécialiste de l’élevage des veaux et des génisses pour Cargill Animal Nutrition au Royaume-Uni et en Irlande.

L’élevage du veau requiert une attention et une surveillance quotidienne : gestion des premières heures de vie, préparation et distribution de la buvée deux fois par jour, nettoyage et désinfection des équipements et du logement… Un investissement que les éleveurs laitiers sont parfois tentés de réduire en faisant l’impasse sur certaines tâches ou en simplifiant les protocoles. « C’est une erreur » confie Bianca Theeruth, spécialiste veaux et génisses au Royaume-Uni et en Irlande.

 

 

L’Eleveur de France : Quels sont les enjeux de la phase naissance – sevrage ?

Bianca Theeruth : Cette phase détermine en partie les performances de la future vache laitière : la croissance et la santé du veau avant sevrage jouent trois fois plus sur l’expression laitière que la génétique. L’objectif est d’atteindre une croissance d’au moins 800 – 850 g/j sur la phase naissance – sevrage.

En-deçà, les conséquences peuvent être lourdes à moyen et long terme : retard de mise à la reproduction et du premier vêlage, avec augmentation du coût d’élevage des génisses, en corollaire ; diminution du potentiel génétique et risque au final de non rentabilité des vaches.

Rien ne doit être laissé au hasard pour atteindre cet objectif de croissance : la conduite des veaux requiert le même niveau d’exigence et de suivi que celle des vaches laitières, c’est un investissement pour le futur.

 

 

Quels sont vos conseils pour bien démarrer l’élevage de la future vache laitière ?

BT : Il faut avoir les bons réflexes dès la naissance, et même avant, pour assurer la productivité de la future laitière. La synthèse du colostrum débute trois semaines avant le vêlage : la conduite et l’équilibre de la ration des vaches taries influent beaucoup sur sa qualité, mais aussi sur l’état du veau à la naissance. Par exemple, nous savons qu’une ration déficitaire en énergie trois semaines avant le vêlage impacte négativement les fonctions métaboliques et immunitaires du veau.

Ensuite, il faut s’assurer que le veau reçoive un colostrum de qualité et en quantité suffisante dans les premières heures qui suivent le vêlage : il transfère l’immunité de la mère au veau via les anticorps IgG et il apporte des hormones impliquées dans la croissance et la sécrétion lactée.

 

 

Quelles sont vos recommandations en matière de préparation du colostrum ?

Le colostrum doit être collecté rapidement après le vêlage, conservé puis préparé dans de bonnes conditions d’hygiène afin de limiter la présence de bactéries dont le nombre peut doubler en 20 minutes. Il faut viser moins de 100 000 UFC/ml, cela implique le nettoyage et la désinfection systématique des ustensiles. Le colostrum sera placé au réfrigérateur à 4°C s’il est distribué dans les 24 heures. Au-delà, il devra être congelé.

J’encourage les éleveurs à tenir un cahier de suivi dans lequel ils peuvent reporter avec précisions les informations propres à chaque veau : conditions de vêlage, poids à la naissance et au sevrage, quantité et qualité du colostrum distribué, nombre de jours de diarrhée, … Ces informations faciliteront l’analyse de la situation de l’élevage, la définition des objectifs et les axes de travail associés.

 

 

Comment s’assurer d’un bon transfert de l’immunité de la mère au veau ?

BT : Tout d’abord, il est primordial de mesurer la qualité du colostrum lors de sa collecte. Il doit atteindre une valeur Brix d’au moins 22%, soit plus de 50g IgG/l. Ensuite, la mesure de la concentration en protéines dans le sang permet d’évaluer la qualité du transfert des anticorps de la mère au veau. Cette mesure se réalise sur les veaux âgés de 4 à 10 jours. Une concentration minimale de 55g/l de protéine sérique indique un transfert d’immunité réussi.

 

 

Quelles sont les pratiques des éleveurs en matière d’alimentation lactée des veaux ?

BT : De plus en plus d’éleveurs prennent conscience de l’intérêt d’investir dans la nutrition des veaux et des risques liés à la distribution de lait entier non-pasteurisé ou non-commercialisable. Au Royaume-Uni et en Irlande, nous estimons que la moitié des éleveurs utilisent des aliments d’allaitement. Cependant, trop d’éleveurs achètent encore leur aliment d’allaitement uniquement sur la base du prix. Seule une minorité s’intéresse à la composition et à la qualité des matières premières utilisées.

 

 

Quels sont vos conseils pour bien choisir un aliment d’allaitement ?

BT : Il faut tout d’abord commencer par faire un point sur la situation et définir ses objectifs. Quelles sont les croissances obtenues ? Quel est l’âge moyen au sevrage ? Quelle est la fréquence des diarrhées ? Quelles sont les pratiques de distribution ?

Les aliments d’allaitement contenant plus de 30% de poudre de lait écrémé (PLE) rassasient le veau plus longtemps compte tenu de la formation du caillé, lentement digéré dans la caillette : entre 6 et 10 heures. Ce profil d’aliment d’allaitement est à préconiser lorsque les conditions d’élevage ne sont pas optimales : beaucoup de veaux avec des troubles digestifs par exemple.

Les aliments d’allaitement à base de lactosérum, quant à eux, ne forment pas de caillé : ils sont digérés plus rapidement, en seulement deux heures environ. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’ils ne couvrent pas correctement les besoins des veaux : plusieurs études ont démontré que les croissances et les efficacités alimentaires sont comparables à celles obtenues avec la PLE.

Il faut privilégier l’apport de protéines et d’acides aminés essentiels, tels que la lysine et la méthionine, dans les élevages où les conditions sanitaires sont maîtrisées – faible fréquence des troubles digestifs – et où les objectifs sont orientés sur la croissance musculaire des génisses. Nos études ont mis en évidence que la croissance et l’efficacité alimentaire des veaux sont optimales à 26 % de protéines dans l’aliment d’allaitement.

 

 

Des études mettent en avant l’intérêt de programmes d’alimentation accélérés, avec plus de 10 litres de buvée par veau par jour, pour améliorer les performances de la future vache laitière. Quelles sont vos recommandations en matière de plan d’alimentation ?

BT : Sur la base de nos études, nous recommandons de ne pas dépasser en moyenne 750 à 800 g d’aliment d’allaitement par veau et par jour. Au-delà, la consommation d’aliment premier âge est susceptible d’être pénalisée : cela peut induire un retard de développement du rumen, une moindre valorisation de l’alimentation solide et donc une perte de croissance après le sevrage.

Au Royaume-Uni et en Irlande, les veaux reçoivent généralement 6 litres de buvée par jour, à raison de deux repas par jour. Les concentrations utilisées varient de 140 à 160 g d’aliment d’allaitement par litre d’eau. Nous recommandons de ne pas monter au-delà afin d’éviter le phénomène d’osmose dans l’intestin, qui pourrait conduire à une déshydratation du veau, et de prévenir le risque d’entérotoxémie.

Il est possible de mesurer le glucose sanguin pour s’assurer que le plan lacté couvre correctement les besoins énergétiques du veau. Un taux de 125 mg/dl ou plus est le signe d’un bon plan lacté.

 

 

Comment abordez-vous la transition vers la phase du post-sevrage ?

BT : Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette transition. La diminution des volumes de buvée doit être progressive et débuter au minimum deux semaines avant la date effective du sevrage. Cette diminution de l’alimentation lactée sera compensée par l’ingestion d’aliment premier âge : celle-ci doit atteindre 2 kg par veau et par jour, et ce, trois jours avant le sevrage. De plus, il est recommandé de ne pas changer les veaux d’environnement et de conserver la même alimentation solide la semaine qui suit le sevrage. Il ne faut pas multiplier les sources de stress à ce stade…

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